Conférence sur le Liban pour répondre à l’urgence d’un Etat délabré

da | 24/10/2024 | AGENZIE and CO | 0 commenti

 Le Premier ministre libanais, Najib Mikati, et le président français, Emmanuel Macron, à Paris, ce mercredi 23 octobre. (Ludovic Marin /AFP)

La réunion de jeudi 24 octobre organisée par la France vise à tenter d’apporter un semblant de stabilité à un Etat défaillant et à encourager un cessez-le-feu entre Israël et le Hezbollah. Le tout sans illusions face aux tensions.

| 24/10/2024 | par Hala Kodmani | GUERRE AU PROCHE ORIENT |

L’effondrement spectaculaire d’un immeuble sous une frappe de l’aviation israélienne à Beyrouth ou ailleurs au Liban est aussitôt suivi par l’arrivée des secours pour évacuer les victimes, puis les bulldozers entrent en action rapidement pour déblayer les décombres et, peu après, des volontaires se présentent souvent pour prendre en charge les habitants sans abri. Une efficacité surprenante dans un pays «en danger de mort et de dislocation», selon les mots de Jean-Yves Le Drian, l’ancien ministre des Affaires étrangères, devenu l’envoyé personnel du président français pour le Liban. Un pays «au bord de l’effondrement», a décrit pour sa part la cheffe de la diplomatie allemande, Annalena Baerbock, lors de son passage à Beyrouth, à la veille de sa participation à la Conférence internationale de soutien à la population et à la souveraineté du Liban, organisée jeudi 24 octobre à Paris.

C’est en effet un Etat libanais depuis longtemps délabré qui doit faire face ces dernières semaines aux attaques dévastatrices d’Israël visant le Hezbollah. Sans président de la République depuis deux années entières, géré par un gouvernement intérimaire dit «d’expédition des affaires courantes» depuis trois ans, un Parlement élu en 2022 qui s’est réuni une petite dizaine de fois depuis – et ce, avant le 7 octobre 2023 – le pays affronte ce nouveau drame après plusieurs catastrophes majeures. La crise financière provoquée par un crack bancaire inédit qui a ruiné toute la population en 2019 a été suivie par la crise du Covid, puis par l’explosion du port de Beyrouth en août 2020 qui a fait plus de 200 morts et ravagé la capitale tandis que, depuis plus d’un an, le sud du territoire est touché par une «guerre tiède» menée par le Hezbollah à la frontière avec Israël. Avant que le pays ne se retrouve aujourd’hui sous un feu global. Tout cela sans réveiller «le sens des responsabilités» auquel Emmanuel Macron appelle les dirigeants libanais, depuis sa visite précipitée au lendemain de l’explosion du port.

«La commission de défense n’a jamais été convoquée»
Dans ces conditions, les ambitions affichées par l’Elysée à la veille de la conférence de jeudi sur le Liban paraissent démesurées. «L’appui à la souveraineté du Liban pour aider à la stabilité du pays, ouvrir les voies d’un règlement politique du conflit sur la ligne bleue (la frontière israélo-libanaise), le renforcement des institutions libanaises» sont autant d’objectifs affichés par la France, mais sans illusion. Car «sortir du blocage politique est du ressort des Libanais», reconnaît-on à l’Elysée, qui veut répéter aux dirigeants du pays qu’«il est temps d’avancer» en cette heure grave. L’urgence aujourd’hui est d’obtenir un cessez-le-feu au Liban, pour lequel la France est engagée, et auquel œuvrent d’autres puissances influentes, les Etats-Unis en tête. En visite officielle à Beyrouth lundi 21 octobre, l’émissaire américain, Amos Hochstein, a appelé à «l’application rigoureuse» de la résolution 1 701 du Conseil de sécurité de l’ONU (adoptée en 2006 et supposée mettre un terme aux hostilités entre le Hezbollah et Israël). Un appel sans effet pour le moment, comme celui du secrétaire d’Etat américain, Antony Blinken, qui, mardi en Israël, au milieu d’une énième tournée au Moyen-Orient, affirmait que c’est le moment «de mettre fin à la guerre à Gaza, après qu’Israël y a atteint la plupart de ses objectifs stratégiques».

Faut-il d’abord obtenir un cessez-le-feu ou restaurer l’Etat libanais, notamment par l’élection d’un président de la République ? La question de priorité, posée par la France, est la même qui fait débat au Liban. «L’urgence est d’élire un président qui désignerait un gouvernement aux pleins pouvoirs pour faire face à l’attaque israélienne, résister et négocier», affirme le député libanais d’opposition Mark Daou, rencontré il y a quelques jours à Beyrouth. «Mais le Parlement libanais est aujourd’hui divisé sur la question, du fait du bloc des représentants du Hezbollah et d’Amal qui demandent en priorité de mettre fin à la guerre en négociant un cessez-le-feu», indique celui qui dénonce les défaillances de l’Etat libanais. «Aucune réunion ne s’est tenue au Parlement libanais pour discuter de la guerre depuis le 7 octobre 2023. La commission de défense, dont je fais partie, n’a jamais été convoquée par son président. Nous n’avons reçu, comme députés, aucun rapport du gouvernement sur les effets de la guerre ces dernières semaines, sinon quelques comptes rendus sur les dégâts humains et matériels ou le nombre de déplacés», énumère l’élu anti-Hezbollah.

Efforts relayés localement
Malgré ses défaillances, le gouvernement libanais intérimaire reste l’interlocuteur incontournable des responsables internationaux. Son Premier ministre, Najib Mikati, est à Paris depuis mardi soir pour participer à la conférence organisée pour son pays. Et sur le terrain à Beyrouth, une cellule de crise a été mise en place au siège du gouvernement pour répondre à l’urgence. Dirigée par Nasser Yassine, le ministre de l’Environnement, elle regroupe les ministères libanais compétents, notamment ceux de la Santé et des Affaires sociales, qui coordonnent les efforts avec les agences de l’ONU, les ONG, la Défense civile et la Croix-Rouge libanaise. Efforts relayés localement par les municipalités libanaises et la société civile dans les zones concernées. Rare responsable loué par ses interlocuteurs internationaux comme par beaucoup de Libanais, Nasser Yassine, un technocrate indépendant, estime dans une déclaration à Reuters à la veille de la conférence de Paris que le Liban aura besoin de 250 millions de dollars par mois pour aider plus d’un million de personnes déplacées par les attaques israéliennes. Sa cellule de crise planifie des opérations de secours sur un calendrier de quatre à six mois, tout en espérant que la guerre prendra fin plus tôt.

Outre les compétences pratiques permettant au Liban de faire face à l’urgence, le seul et dernier pilier de l’Etat sur lequel la grande majorité des Libanais comme des internationaux veulent pouvoir compter est l’armée libanaise. Forte d’environ 80 000 soldats, les Forces armées libanaises sont appelées à jouer un rôle majeur dans l’application de la résolution 1 701, en garantissant la sécurité à la frontière libano-israélienne en coordination avec la Force intérimaire des Nations unies au Liban (Finul) en cas d’accord de cessez-le-feu. «Le soutien à apporter aux Forces armées libanaises et aux Forces de sécurité intérieures» est essentiel pour la souveraineté du Liban et figure parmi les priorités de la conférence sur le Liban à Paris, insiste l’Elysée. Cette armée, qui vit essentiellement grâce à l’aide financière des Occidentaux et Arabes, reste sous-équipée, notamment en défense aérienne. Mais elle est un point d’appui et d’espoir pour les Libanais. Son chef, Joseph Aoun, est pressenti comme un candidat solide à la présidence du Liban. Une option à laquelle s’est jusqu’ici fortement opposé le Hezbollah, qui a toujours voulu maintenir ses forces militaires propres, nœud de tout le blocage libanais.

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