La société libanaise hantée par le spectre de la division
Depuis le quartier Geitaoui, à Beyrouth, le 20 octobre 2024. (© Aline Deschamps)
Ho scoperto questo articolo sul quotidiano Francese LIBERATION e che vi consiglio di leggere attentamente, ci sono alcuni passaggi che fanno riflettere parecchio e forse anche di più !!!!
Voi che ne pensate ??
Si la solidarité a fonctionné entre les différentes communautés lors des premières frappes israéliennes, de plus en plus d’habitants expriment désormais leur peur de voir des déplacés chiites s’installer près de chez eux, par crainte d’être ciblés à leur tour.
| Hala Kodmani, envoyée spéciale à Beyrouth | LIBERATION | 23/11/2024 |
Impossible d’échapper à Beyrouth aux écrans flanqués du bandeau «le Liban sous attaque». Cafés, magasins, bureaux, hôtels ou maisons sont tous branchés sur l’une des nombreuses chaînes d’information en continu qui diffusent en direct les reportages de leurs correspondants dans les différentes zones enflammées du pays. Collés devant leur télévision depuis bientôt deux mois, les Libanais suivent les nouvelles du terrain, toujours commentées en plateau par des experts militaires et des analystes politiques, sans jamais satisfaire leur curiosité ni calmer leurs angoisses.
«Plus je regarde et j’écoute et moins je vois d’issue», reconnaît Nada (1), installée devant son poste de télévision dans son appartement joliment meublé et décoré du quartier huppé d’Achrafieh. Retraitée vivant seule, l’ancienne cadre de banque reste là «du lever au coucher», comme elle dit, et ne sort «que pour l’indispensable» depuis le début de la guerre. Zappant d’une chaîne d’information à une autre, elle est au fait des moindres détails de chaque frappe israélienne sur Beyrouth ou ailleurs, et de chaque évolution de position politique libanaise ou internationale.
Méfiance généralisée
«Finalement, si l’on observe les premiers résultats, Israël a réussi en quelques semaines à réaliser les vœux de la grande majorité des Libanais : ébranler le Hezbollah et provoquer le départ des réfugiés syriens», résume celle qui appartient à une vieille famille sunnite de Beyrouth, opposée depuis longtemps à la puissante milice pro-iranienne. «Mais une boîte de Pandore vient de s’ouvrir au Liban», dit Nada en énumérant les premières conséquences de l’offensive israélienne sur le pays. «Avec plus d’un million de déplacés sans ressource ni occupation, maintenant réfugiés dans tout le pays, les écoles qui ne peuvent pas ouvrir aux élèves et l’hiver qui arrive, la catastrophe ne fait que commencer», s’inquiète la sexagénaire. «Jusque-là les partisans du Hezbollah et les chiites qui le soutiennent étaient bien rangés dans Dahieh, maintenant ils sont partout», ajoute-t-elle à propos des habitants de la banlieue sud de Beyrouth, qui ont dû quitter leur quartier sous le feu des raids israéliens quotidiens.
La peur de voir des membres du Hezbollah se glisser parmi les déplacés, accueillis chez des proches ou logés à leurs frais dans différents appartements de Beyrouth hante les habitants qui craignent que leur immeuble soit visé par une frappe. La méfiance est généralisée, y compris dans les quartiers a priori épargnés par Israël. «Ici, on n’a rien à craindre», se rassure une mère famille de Hadath, une localité chrétienne du sud de Beyrouth surplombant la grande banlieue contrôlée par le Hezbollah. «Heureusement, notre maire interdit à tout propriétaire ou locataire musulman, sunnite ou chiite, de s’installer ici», affirme en toute spontanéité la dame «au sommeil lourd une fois que j’ai prié la Vierge», selon ses mots. Ainsi, elle n’entend même pas les frappes nocturnes sur le fief du parti-milice.
Les habitants chrétiens ou musulmans des quartiers bourgeois de Beyrouth se réjouissent même des attaques contre le Hezbollah envers lequel ils entretiennent une hostilité profonde et ancienne. «L’assassinat de Nasrallah a été célébré, parfois au champagne dans le voisinage», raconte Fadi (1), un jeune informaticien de Beyrouth-Est qui ne partage pas l’euphorie de son entourage. «Mais on peut comprendre, depuis le temps que le Hezbollah bloque les institutions politiques dans le pays, notamment l’enquête sur l’explosion du port, et qu’il mène une guerre stupide au Sud-Liban depuis un an», explique le trentenaire. Les attaques sporadiques menées à partir du 8 octobre 2023 par le Hezbollah contre le nord d’Israël, au nom de la «solidarité avec Gaza», sont fortement critiquées aujourd’hui car elles auraient servi de prétexte à l’offensive israélienne contre le Liban depuis fin septembre et à l’intensification de la confrontation au Sud-Liban.
«Des déçus qui n’osent exprimer leurs doutes»
«De quoi je me mêle et à quoi ça sert !» s’écrie Mohamed (1) à propos «d’une guerre ordonnée par l’Iran, au nom de la résistance, alors que le Liban n’y a aucun intérêt». Fonctionnaire qui s’est mis en disponibilité pour gagner mieux sa vie comme gardien, chauffeur et homme à tout faire dans un hôtel, il affirme que beaucoup de chiites comme lui rejettent le Hezbollah. «Mais ils n’osent pas trop le clamer, par crainte pour leur sécurité et leurs intérêts», ajoute l’homme en fumant cigarette sur cigarette. Ce constat exprimé simplement est confirmé par Hareth Suleiman, figure de l’opposition chiite au puissant parti. «Dans la classe moyenne chiite éduquée, de plus en plus importante, qui a adhéré jusque-là au discours du Hezbollah, on compte de plus en plus de déçus aujourd’hui qui n’osent exprimer leurs doutes», souligne l’intellectuel. «Tout le monde au Liban veut l’affaiblissement du Hezbollah mais l’ensemble des forces politiques sont conscientes que ce n’est pas pour leur bien, ni celui du Liban qu’Israël intervient», résume-t-il.
En effet, même les Libanais qui se sont réjouis des coups portés par Israël contre le Hezbollah ont exprimé leur indignation au message vidéo adressé début octobre par Benyamin Nétanyahou «au peuple libanais» : «la guerre d’Israël n’est pas contre vous. Elle est contre le Hezbollah.» L’appel du Premier ministre israélien à se saisir de «l’opportunité» de la guerre pour achever le parti-milice a été reçu comme une provocation à la guerre civile par la majorité des Libanais. «Quand Nétanyahou invite les Libanais à s’entre-tuer», titrait un éditorial du quotidien francophone l’Orient-le Jour.
«Il ne peut y avoir de reconstitution du pays alors qu’il est sous la pression de la guerre israélienne», confirme Jean Kassir, jeune militant progressiste du mouvement citoyen libanais, aujourd’hui mobilisé dans l’aide humanitaire aux déplacés de la guerre. «Les jeunes démocrates sont doublement opposés aux tutelles de l’Iran et d’Israël. Une alternative libanaise doit reposer sur une identité citoyenne. Car ce qui nous réunit est plus important que ce qui nous divise», ajoute celui qui veut malgré tout s’accrocher à l’espoir d’un Liban alternatif.
«Beyrouth reste un foyer de la diversité et de la liberté dans toute la région», conclut Jean Kassir.
(1) Tous les prénoms ont été changés.
CI HANNO SCRITTO